Les risques naturels dans la Caraïbe: trop coûteux pour qu’on les ignore?

LA AEC DANS LA GRANDE CARAÏBE

 

Les risques naturels  dans la Caraïbe: trop coûteux pour qu’on les ignore?      

 

Pendant la période 1990-2008, la Caraïbe a subi 165 catastrophes naturelles. L’impact total (dommages et pertes) au cours de cette même période est estimé à 136 milliards de $US, l’impact économique étant le plus élevé, soit 63 milliards de $US (46%). Un coup d’œil, même rapide, sur ces chiffres révèle que l’économie des pays exposés à des risques naturels est volatile, alarmante et cela ne peut certes pas être ignoré.

 

La vulnérabilité macroéconomique aux risques naturels est fondée sur cinq  conditions de base qui peuvent être classées en fonction de facteurs temporels et de leur localisation, notamment: le type de risques naturels ; la structure générale de l’économie; la dimension géographique du pays; son niveau de revenus et son stade de développement; et les conditions socioéconomiques qui y prévalent, y compris la politique de l’environnement et la situation économique. Si on le replace dans le contexte des petits Etats insulaires de la Caraïbe (PEID), compte tenu de leur réalité- petite taille, haut degré d’exposition à l’économie mondiale d’économies non diversifiées, incapacité de tirer parti d’économies d’échelle et dépendance qui s’ensuit à l’égard des importations-, il ne faut pas s’étonner que le coût des catastrophes soit considérable.

 

Pour mieux appréhender cette contrainte on peut diviser l’impact économique en trois catégories: dommages, pertes indirectes et effets secondaires. Tout d’abord,  les  dommages  sont ceux qui se produisent au moment de la catastrophe; ils incluent les dommages causés aux biens matériels (routes, équipements de fourniture de services publics, etc.) et au capital productif (autrement dit, le capital national tel que les infrastructures). Outre ces dégâts, l’économie en général et ses  agents en particulier, subissent des pertes indirectes ou pertes de flux de revenus. Ce peut être, par exemple, l’insuffisance des récoltes et la hausse des coûts opérationnels tels que ceux du transport en raison des dommages causés au réseau routier et à l’infrastructure. Il faut, à cet égard, préciser que les catastrophes géologiques telles que les tremblements de terre causent plus de dommages aux biens et moins de dommages indirects tandis que les catastrophes climatiques telles que les ouragans, les inondations ou la sécheresse influent plus sur les pertes indirectes. On estime que l’impact de la saison cyclonique de 2004 dans la Caraïbe, mesurée par la somme des dommages et pertes indirectes, s’élevait à plus de 3 milliards de US$. Au cours de la période 1990-2008, les dommages et pertes indirectes au Belize, à la Dominique, à Haïti, à Sainte Lucie, à la Jamaïque et au  Suriname représentaient entre 80% et 85% du total de l’impact national des catastrophes  naturelles.    

 

Malgré la gravité de ces répercussions, plus graves encore sont les retombées de ces dommages et pertes indirectes sur les variables macro-économiques d’un pays, ce que l’on appelle les effets secondaires. Dans un article intitulé “Analyse de l’impact des risques naturels sur les petites économies”, l’Université des Nations Unies et  l’'Institut mondial pour la recherche sur l’économie du développement , résument avec efficacité le poids de ces  effets secondaires : (i) ils portent atteinte à la  production et aux canaux de distribution des économies dont ils réduisent  le taux global de croissance; (ii) ils provoquent une perte de revenu total et d’emplois, ce qui se répercute sur les profils de consommation; (iii) ils entraînent une augmentation des  importations qui résulte de la nécessité d’acheter des  biens intermédiaires et des matières premières pour les remises en état; (iv) les flux d’assurance augmentent, et (v) les revenus des gouvernements diminuent. On observe donc des répercussions considérables sur la balance extérieure (balance des paiements, niveau d’endettement) et sur le bilan interne (inflation, croissance et revenu, équilibre budgétaire, emploi, etc.) des économies correspondantes.

 

Lorsqu’on étudie les impacts économiques des catastrophes sur les importations  et la dette extérieure, on note, toujours en ce qui concerne la période 1990-2008, une augmentation marginale des importations dans la Caraïbe entre l’année précédant la catastrophe et celle où elle s’est produite. De 2003 à 2004, année où a eu lieu l’ouragan  Ivan, il y a eu 4% d’augmentation aux Bahamas, 7% au Belize et à Grenade et 2% à la Jamaïque.

 

Il importe, dans un contexte de stabilité macroéconomique,  de prêter attention à l’augmentation de la dette extérieure calculée en pourcentage du PIB  en période de crise dans les nations touchées, attendu que les dommages provoqués par le phénomène représentent une large part du PIB. Pendant la saison cyclonique de 2004, les  dommages,  évalués à 3,1 milliards de $US, représentaient une part  importante du PIB, variant d’environ 10% à la Jamaïque à plus de 200% à Grenade. En ce qui concerne la dette extérieure, le rapport entre cette dernière et le PIB était de 100% en moyenne dans l’ensemble de la région. On estime qu’un cyclone moyen réduit le rendement de la production de près de 1 pour cent; et que donc le pourcentage de la dette dans le PIB  augmente plus rapidement quand un ouragan se produit et par la suite. Au vu de ces tendances inquiétantes, il y a lieu d’étudier plus amplement les implications pour la région.

 

Atténuation des effets : ex ou post, avant ou après?

Il y a toute une pléthore de facteurs qui constituent des pierres d’achoppement au développement régional, mais la destruction réitérée du capital économique et social due aux catastrophes naturelles peut annihiler des  années de développement. Compte- tenu du fait que l’agriculture représente une part importante du PIB, 14% à la Dominique et 21% en Guyana (2011), et que celle du tourisme est de  respectivement 77.4% et 48.4% à Antigua-et-Barbuda et aux Bahamas, l’arrivée d’un phénomène naturel est un coup dur pour les secteurs productifs des économies. D’où le débat sur l’évaluation des coûts et avantages des mesures d’atténuation. En général, les gouvernements manifestent une certaine réticence à adopter des mesures d’atténuation préalables car ils estiment que les coûts d’opportunité sont trop élevés et ils sont incapables de prévoir quand se produira la prochaine  catastrophe. Toutefois, étant donné la fréquence et la gravité des catastrophes naturelles ces dernières années, il est recommandé d’adopter une approche créant un environnement moins susceptible d’avoir des impacts négatifs et donc plus rentable à long terme.

 

Pour faire face aux risques: accroître le rôle des assurances et des marchés des capitaux?

Sur le marché des assurances, les catastrophes naturelles sont en général  considérées comme des phénomènes “à haute gravité et basse fréquence”, que les compagnies d’assurance préfèrent, et de loin, à ceux qualifiés de “à faible gravité et haute fréquence”. Le marché des assurances contre le risque de catastrophe en est encore au stade de l’enfance. Réduire la vulnérabilité aux catastrophes ne devrait toutefois pas être considéré comme un coût mais comme  une opportunité de renforcer la durabilité et la résilience. Vues sous cet angle, les assurances deviennent un outil important pour réduire la charge associée aux catastrophes naturelles en la répartissant dans le temps et l’espace. On s’est référé au fait que la  réduction des risques doit impliquer un certain degré de partenariat avec le secteur privé, y compris les banques d’investissement et les compagnies d’assurance. Il faut donc définir le rôle qui incombe au gouvernement vis-à-vis du secteur privé sur le marché des assurances. De plus, il faut adopter des décisions quant à la mise en place d’un dispositif institutionnel appropriée facilitant le fonctionnement des schémas d’assurance tout en minimisant  les aléas moraux et les choix négatifs.

 

La mesure dans laquelle un risque revêt la forme d’une catastrophe dépend incontestablement de la capacité d’un pays  à y faire face. S’il ne fait aucun doute que le coût des catastrophes pour les économies caribéennes est élevé, celui de l’inactivité l’est encore plus.

 

 

Nayaatha Taitt, Direction de la Réduction des risques de catastrophe de l’Association des États de la Caraïbe. Toute correspondance ou commentaire éventuel peut être adressé à [email protected]